le Grand Vert (récit)
Nuit du mardi 14 au mercredi 15 mai 2013
Il a plu à verse une bonne partie de la nuit et en début de matinée. Le pluviomètre de Météo France Kourou enregistrera 124,5 mm en 24 heures, ce qui n'est pas si fréquent.
Mercredi 15 mai 2013
La pluie s'est calmée dans la journée. L'après-midi, je décide de faire une petite sortie : bords de RN1 pour d'éventuelles floraisons d' Habenaria longipedicellata puis un nouveau bas-fond qui reste assez praticable malgré les précipitations récentes. J'allume le GPS juste avant d'entrer dans le sous-bois. Il m'indique que les piles sont faibles. Je les change immédiatement. J'ai toujours un jeu de piles rechargeables de remplacement pour éviter les mésaventures qui m'étaient arrivées trois ou quatre fois avec l'ancien GPS : panne de batterie en pleine forêt, 30 à 90 minutes pour retrouver le layon ou la piste qui devaient me ramener au vélo ou à la voiture... Des piles rechargées me donnent une autonomie de 8 à 9 heures. Là, je suis resté environ 2 heures en forêt. Il devrait donc me rester 6 à 7 heures d'autonomie.
En soirée, JT de Télé Guyane que nous prenons en cours : la Guyane est en vigilance orange du fait des intempéries et le journaliste annonce que les écoles de Guyane seront fermées le lendemain, sur décision du Recteur. Nous nous rendons sur le site du Rectorat de la Guyane et prenons connaissance de l'arrêté préfectoral : les écoles de Kourou (et de nombreuses autres communes) seront bien fermées le jeudi 16 mai.
Jeudi 16 mai 2013
Un nouveau communiqué de presse annonce un peu après 15 heures que, malgré malgré l'amélioration des conditions météo, la fermeture des écoles est maintenue pour le vendredi 17 mai 2013.
Vendredi 17 mai 2013
Il a plu un peu dans la nuit mais pas trop. Le ciel semble se dégager en tout début de matinée. Je décide d'effectuer une sortie envisagée depuis un petit moment déjà, au pk 7 de la Route de Petit Saut. J'aimerais retrouver dans la zone deux palmiers vus un an auparavant : Bactris acanthocarpa avec un stipe inhabituellement grand et Bactris acanthocarpoides , qui, avec un peu de chance, pourrait avoir une infrutescence car c'est la saison des fruits chez de nombreux palmiers guyanais. L'idée était de mesurer le stipe du premier, de photographier les éventuelles infrutescences du second et surtout, de marquer les coordonnées GPS de ces deux palmiers pour pouvoir les retrouver plus aisément. Et même si je ne parvenais pas à les retrouver, la zone de Petit Saut est tellement riche que le moindre chablis peut offrir son lot de plantes intéressantes : orchidées, broméliacées, aracées, ...
Je laisse donc la voiture au pk 7 de la route de Petit Saut, côté droit de la route où l'accotement herbeux parait plus accueillant que le côté gauche, moins large et plus dangereux. Vers 9h30, je pénètre en forêt, côté gauche de la route, après avoir suivi sur quelques mètres un chemin herbeux qui menait jusqu'au bas-fond.
Le sous-bois, à proximité d'une petite crique, est tout de suite extrèmement moussu : les troncs, les lianes, ... et semble propice à l'accueil des épiphytes. J'inspecte quelques chablis, quelques troncs couchés : que des orchidées communes et quelques aracées sans inflorescences. En remontant à flanc de colline, je tombe sur deux plantes intéressantes : un petit gingembre de sous-bois qui doit bien être Renealmia monosperma , avec deux infrutescences aux fruits regroupés, d'un rouge très vif.
Du coup, je me dis que les petits Renealmia vus à l'entrée de la Route de Saut Léodate (aux tailles et feuilles assez semblables mais aux infrutescences différentes) n'étaient pas Renealmia monosperma et restent toujours indéterminés.
L'autre plante est un Anthurium terrestre avec une belle inflorescence.
Je prends quelques photos de ces deux plantes, sans enregistrer leurs coordonnées GPS, et poursuis à flanc de colline avant de redescendre vers la crique, que je longe. Je ne suis pas du bon côté pour les palmiers : je me dis que je peux en trouver d'autres de ce même côté et passerai dans la zone visitée l'an passé au retour.
Assez vite, je tombe sur deux chablis très riches en orchidées. Le premier est assez ancien mais possède des branches encore bien fournies. Maxillaria uncata et Pleurothallis picta sont en fleur. Un autre Pleurothallis , que je ne sais identifier, est en boutons et un troisième, qui fait penser à Pleurothallis spiculifera , a également de petits boutons jaunes. Je fais quelques prélèvements pour le Jardin Botanique des Orchidées de Guyane et AXXXXXXX identifiera cette plante comme étant Pleurothallis pygmaea , que je ne connaissais pas.
Sur le second chablis, bien plus récent (les branches possèdent encore leurs feuilles), il me semble reconnaître Sobralia sessilis et peut-être Pleurothallis seriata .
J'ai dû passer une bonne heure sur ces deux chablis que je quitte vers 11h30. Comme le second chablis se trouve au niveau d'un embranchement de cours d'eau et qu'il me semble avoir déjà suivi le cours de droite, je m'engage sur celui de gauche. Il me semble que c'est au bout de 20 à 30 minutes, vers midi donc, que j'ai voulu jeter un coup d'œil sur le GPS et que je me suis rendu compte qu'il n'affichait plus rien. Il est possible que j'ai progressé encore quelque peu (jusqu'au prochain chablis...) avant de me décider à faire demi-tour.
Je n'étais pas inquiet : j'avais encore trois ou quatre barres de céréales, quelques morceaux de sucre, un bon litre d'eau et surtout cinq bonnes heures avant l'obscurité pour parvenir à la route et à la voiture. Je ne sais pas où j'ai fauté mais je n'ai jamais retrouvé le second chablis, celui qui se trouvait au niveau d'un embranchement de cours d'eau. J'ai marché, suivi des cours d'eau dans un sens, dans l'autre et je me suis rendu compte que, remontant le fil de l'eau, j'arrivais à une zone de transition et poursuivant plus avant, l'eau s'écoulait devant moi. Ce changement de pente, ce changement de sens d'écoulement des eaux, ont fini de me dérouter. Finalement, j'en suis arrivé à me dire que suivre le fil de l'eau pouvait aussi bien m'éloigner que me rapprocher de la route.
J'ai tenté de rallumer le GPS : s'il était éteint depuis longtemps, il fonctionnait une vingtaine de secondes, le temps de me donner ma position par rapport à la route (je possède un fond de carte IGN Guyane assez précis) mais pas assez pour repositionner la carte dans le bon sens mais cela, je ne l'ai pas compris tout de suite. C'est ainsi qu'au fil de l'après-midi, j'estimais être à 500 mètres (à vol d'oiseau) de la route, puis 800 mètres, puis près d'un kilomètre et enfin à nouveau à 500 mètres en fin d'après-midi.
Quand j'ai compris que l'écoulement des eaux ne me guiderait plus, j'ai gagné les crêtes, que j'ai suivies quelque peu. Quand le GPS m'a confirmé que je m'éloignais de la route, j'ai fait demi-tour, rejoint d'autres crêtes, à l'opposé, et suis tombé sur une ancienne route forestière. La végétation secondaire avait bien repoussé mais le tracé était encore bien lisible. J'ai repris un peu espoir : forcément, cette ancienne piste forestière rejoignait la route... Le GPS me confirmera bien plus tard que non.
Sur les crêtes ou sur les parties hautes de la piste forestière, il m'arrivait d'entendre des voitures, assez loin. En milieu d'après-midi, j'ai décidé de me diriger vers la provenance de ces bruits, ce qui impliquait de prendre un cap et essayer de s'y tenir, quelle que soit la configuration du terrain... Chose que je n'ai absolument pas réussi à faire puisque, à ma grande stupeur, je me suis retrouvé à un endroit où j'étais déjà passé auparavant. Les quelques concessions que j'avais dû faire à mon cap m'avaient donc fait tourner en rond!!! Je dois dire à ma décharge que dans les creux, les voitures n'étaient plus audibles et comme une pluie relativement dense s'est assez rapidement invitée, je n'avais plus moyen de rectifier mon cap.
Vers 17 heures, la fatigue se faisait bien sentir et j'avais des débuts de crampes lorsque je levais la jambe pour franchir un obstacle. Je commençais à glisser et à trébucher aussi bien dans les montées que dans les descentes. D'après le GPS, j'étais à 500 mètres (à vol d'oiseau) de la route et pour la première fois, je me suis dit qu'il serait peut-être plus raisonnable de me préparer à passer la nuit en forêt. J'étais à nouveau sur une ancienne piste forestière (était-ce la même que précédemment ? une autre ?) et le problème était que je ne savais dans quel sens la suivre pour me rapprocher de la route. J'ai parcouru une bonne centaine de mètres dans chacune des deux directions : d'un côté, elle menait à un bas-fond et semblait s'y perdre et de l'autre, elle se prolongeait un peu plus en hauteur tout en restant assez visible. J'ai choisi de m'installer sur cette piste, à une centaine de mètres du bas-fond, là où elle prenait un peu d'altitude. On était en vigilance orange et une montée des eaux due à de fortes précipitations n'était pas exclue.
J'ai tout d'abord dégagé, nettoyé au sabre, une zone où m'allonger. N'ayant pas particulièrement l'habitude de manier cet outil, j'ai souvent préféré déraciner à la main de petites plantes plutôt que de risquer une blessure en m'acharnant maladroitement avec un sabre mal aiguisé. J'avais déjà entendu parler de blessures au sabre qui pouvaient devenir très problématiques en forêt.
Et puis j'ai commencé à faire l'inventaire de ce que j'avais dans mon sac pour m'aider à passer la nuit : lampe frontale, couteau suisse, anti-moustique, trois barres de céréales, un bon demi-litre d'eau mais... pas de briquet ni d'allumettes.
Je me suis assis et ai essayé la lampe frontale qui semblait fonctionner. C'était toujours ça ! Mes vêtements (tee-shirt, pantalon, chaussettes) étaient bien mouillés (pluie + transpiration). J'ai retiré les bottes et ai essoré les chaussettes en les tordant au maximum puis les ai remises, encore humides. Même traitement pour le tee-shirt. J'ai également remis les bottes après les avoir égouttées, en me disant qu'elles me protègeraient toujours un peu, pendant la nuit. Je pensais aux serpents, scorpions, scolopendres, aux fourmis aussi... Pour les moustiques, je comptais sur le Cinq sur Cinq. Je ne pouvais pas non plus m'empêcher de penser à d'autres bestioles, plus grosses (jaguars, pumas, cochons-bois, pakiras, singes,... ) et me demandais quelle pourrait être leur attitude si elles tombaient sur un corps allongé, endormi, au cours de leurs déplacements nocturnes. D'autant plus que cette ancienne piste était peut-être une de leurs "autoroutes" même si je n'avais vu aucune trace animale à proximité mais n'étant pas chasseur, mon œil n'est pas particulièrement entraîné à repérer ce genre de signes.
J'en étais là de mes interrogations quand une idée m'a traversé l'esprit et m'a redonné espoir : et si la "lumière" venait de la lampe ? Il y a 10 minutes de cela, la frontale semblait fonctionner... avec des piles. Si ce sont les mêmes que celles du GPS (de type LR6), je pourrais peut-être retrouver un peu de guidage et faire les 500 mètres qui me séparent de la route en 30 ou 45 minutes, quite à marcher dans une semi-obscurité. Si cela permet de sortir de cette forêt et d'éviter d'y passer la nuit, cela vaut tout de même le coup.
Ouvrir le compartiment piles de la frontale : ce sont bien des LR6. Première bonne nouvelle ! Ouvrir celui du GPS. Mettre les piles de la lampe dans le GPS. Appuyer sur le bouton de mise en marche ... Tout de suite, le message "Batteries faibles" apparait. Et le GPS s'éteint peu à peu.
J'ai quelques instants de découragement et puis j'essaie de me reprendre. Je pense aux miens : NXXXXXXX, mon épouse, qui s'alarme pour un rien, le moindre retard et qui là, doit se faire un sang d'encre depuis plusieurs heures déjà. A TXXXXX, l'aîné des enfants, qui va bientôt avoir son rendez-vous chez le dentiste mais pourra-t-il seulement y aller ? Je devais être de retour bien avant ce rendez-vous pour garder les trois plus jeunes... Où sont-ils ? Que font-ils ? Et surtout, qu'imaginent-ils qu'il me soit arrivé ? Le pire sans doute : un accident ? une blessure grave ? une mauvaise rencontre ? une sévère hypoglycémie ? (je suis diabétique et celà n'est jamais à exclure, surtout lors d'un effort prolongé) Et l'hypothèse que je me sois perdu doit également être présente. C'est cette incertitude qui doit être pesante et angoissante. De mon côté, je sais que je vais bien. Il s'agit pour moi de passer la nuit au mieux, de réfléchir à une stratégie pour retomber sur la route demain matin ou de faire en sorte que les secours puissent me retrouver au plus vite car connaissant NXXXXXXX, elle ne tardera pas à alerter la Gendarmerie, ne me voyant pas revenir. D'ailleurs peut-être l'a-t-elle déjà fait ? Finalement, j'en suis arrivé à la conclusion que leur situation était bien plus inconfortable que la mienne, ce qui m'a redonné un peu de baume au cœur.
Je me suis alors souvenu de guides amérindiens, LXXXX, de Camp Cariacou, et un autre guide, du Camp Cisame, frappant avec un sabre sur les contreforts de grands arbres et nous expliquant que cette technique pouvait être utilisée pour donner l'alerte et que l'on pouvait ainsi être entendu à plus d'un kilomètre. J'avais repéré un arbre de taille moyenne à une dizaine de mètres de l'endroit où j'étais assis et cet arbre possédait des contreforts de taille assez modeste. Je lui ai asséné quelques grands coups de sabre. Le bruit obtenu n'avait rien de comparable avec les lourdes et sourdes sonorités produites par mes initiateurs mais suffirait peut-être à attirer l'attention d'une équipe de secours qui passerait à proximité. Il faisait presque nuit et il me paraissait peu probable que des recherches se déroulent dans l'obscurité mais cela ne me coûtait pas grand chose de retourner frapper sur les contreforts tous les quarts d'heure. Et de surveiller les bruits, les halos lumineux tant que je restais éveillé.
Mais que les minutes étaient longues ! Je m'empêchais de regarder la montre trop souvent pour éviter de me décourager. Vers 18 heures, l'obscurité aurait dû être presque totale mais je me suis rendu compte qu'une lune presque pleine éclaircissait le ciel. La pluie s'était arrêtée depuis un bon moment déjà et le ciel s'était dégagé. Quelques étoiles étaient même visibles à travers les branches et feuillages de la canopée. Des souvenirs d'une lointaine passion pour l'astronomie, un télescope délaissé dans la maison qui m'a vu grandir, mes parents, ma famille de métropole... J'ai cherché à identifier des constellations mais le couvert végétal ne laissait entrevoir que quelques étoiles disséminées. Impossible de tracer mentalement ces lignes qui forment des dessins connus, rassurants. Dommage ! Cela m'aurait occupé un peu et cela m'aurait réconforté. Perdu en forêt mais navigant d'étoile en étoile, de constellation en constellation. Etrange paradoxe : enfer vert contre voie lactée.
J'avais froid, le tee-shirt était resté humide sur mes épaules et sur mon dos. Les moustiques piquaient allègrement et la nuque et les bras, restés dénudés, malgré le "Cinq sur cinq" que je remettais assez régulièrement. Je me levais de temps à autre pour pour faire quelques mouvements pour me réchauffer et pour donner quelques coups de sabre sur les contreforts. Ah ! Si j'avais eu un sifflet... C'est pas lourd, peu encombrant et tellement plus efficace ! Et si j'avais eu une boussole... J'en prenais une, avant, avec l'ancien GPS que je trouvais moins fiable. Et là, elle est restée à la maison, inutile au fond d'un placard. Je pense que cela aurait suffi pour que je retrouve la route. Direction : plein nord. Ça aussi, c'est pas lourd et peu volumineux. Et ça ne tombe pas en panne ! Voilà deux outils qu'il faudra veiller à ne pas oublier dans l'équipement des prochaines sorties.
Un peu avant 20 heures, j'ai mangé une barre de céréales et bu un peu d'eau. Puis je me suis allongé au sol, le sac sous la nuque, en guise d'oreiller. Pas vraiment confortable mais ça pourrait presque aller si ce n'était le froid... et les moustiques. La lune était descendue quelque peu derrière moi... Mais alors... la lune, comme le soleil et les étoiles, se lève à l'est et se couche à l'ouest. La voilà ma boussole : l'ouest est derrière moi, l'est à mes pieds, la piste forestière est orientée nord/sud avec le nord à ma gauche et le sud à ma droite. Si mes déductions sont à peu près justes et si j'arrive à garder un cap demain matin, je peux peut-être retrouver la route assez rapidement.
J'ai repris espoir. Restait à gérer au mieux cette nuit qui ne faisait que commencer et allait être décidément bien longue. Je tablais sur douze heures de nuit, de 18 heures à 6 heures du matin et il n'y avait que deux heures d'écoulées, interminables. D'autant que le sommeil ne se faisait pas spécialement sentir. Toujours le froid et les moustiques, les mouvements de temps en temps mais plus de coups sur les contreforts. Plus envie de troubler l'ambiance de cette nuit, finalement peu bruyante : pas de cris à proximité ni de pas entendus. Un petit coup de lampe autour de mon "lit" de temps en temps, juste histoire de vérifier... Les piles, qui s'avéraient insuffisantes pour faire fonctionner le GPS, m'ont tout de même donné de la lumière (de manière occasionelle) toute la nuit.
J'ai profité du fait que je n'arrivais pas à dormir pour vérifier le bon positionnement de ma "boussole" en surveillant les trajectoires de quelques étoiles qui confirmaient ce que la lune m'avait indiqué.
Samedi 18 mai 2013
La fatigue a finalement eu raison de moi vers 2h30 et j'ai dû dormir une trentaine de minutes puis à nouveau une bonne heure jusqu'à près de 4h45. La fin de nuit se profilait et quand il est devenu évident que je ne me rendormirai plus, j'ai avalé une barre de céréales et quelques gorgées d'eau. J'ai bougé un peu, trottiné sur place pour remettre la machine en route et me réchauffer. Lorsque la lumière m'a semblé suffisante, j'ai pris quelques photos de l'endroit où j'avais dormi, plutôt ratées ! Sans doute pas la tête à faire des réglages...
Vers 6h20, je me mettais en route. Ma stratégie était claire dans mon esprit : suivre l'ancienne piste forestière (plein nord) jusqu'au bas-fond repéré la veille puis continuer en gardant toujours un cap au nord. Je savais, à cause de l'expérience malheureuse de la veille, que c'était beaucoup plus facile à imaginer qu'à réaliser. J'avais décidé de viser un arbre remarquable à une trentaine de mètres, de le rejoindre en une ligne la plus droite possible puis de viser à nouveau un autre arbre remarquable toujours dans la même direction et de répéter l'opération autant de fois que nécessaire en espérant ne pas trop dévier, ne pas trop m'écarter de mon cap.
J'ai ainsi traversé un premier bas-fond puis gravi une pente assez raide. La descente, également assez pentue, m'a amené dans un deuxième bas-fond qu'il a fallu traverser dans une assez grande largeur. Dans la montée suivante, le soleil a commencé à transpercer, assez bas, la végétation, me donnant ainsi la direction de l'est et me permettant de rectifier mon cap nord, dont je m'étais quelque peu écarté. J'ai entendu passer une voiture, pas si loin que ça, signe que j'avais dû déjà bien m'approcher de la route. Une vérification sur le GPS, qui fonctionnait de la même manière que la veille, me l'indiquait à environ 300 mètres, toujours plein nord. Et puis, amorçant une nouvelle descente, une zone plus claire, linéaire, est apparue en face de moi. Je n'ai pas réalisé tout de suite qu'il s'agissait de... l'emprise de la route... Soulagement !
Une dernière zone un peu inondée à traverser, remonter de l'autre côté, à peine quelques herbes coupantes en lisière de forêt et j'étais sur la latérite, à une quinzaine de mètres de la route, en un lieu que j'ai reconnu de suite, pour l'avoir pratiqué de nombreuses fois, aussi bien en voiture qu'à vélo. Je devais être aux environs du pk 8, soit tout de même à un kilomètre de l'endroit où j'avais laissé la voiture. Un coup d'œil à la montre : 6h55. J'avais dû marcher environ 45 minutes ce matin. Et ma "boussole céleste" avait assez bien fonctionné. Je dois avouer que j'en ressentais une certaine fierté même si je n'étais pas fier du tout de la tournure qu'avaient pris les évènements.
Restait à longer la route jusqu'à la voiture, en espérant qu'elle soit encore là et qu'elle soit encore intacte. La route de Petit Saut n'est pas toujours bien fréquentée, notamment la nuit, et les nombreuses "épaves" qui la jalonnent pouvaient laisser présager le pire. Heureusement, mais cela était presque devenu secondaire, la voiture était bien là. Quatre ou cinq autres véhicules étaient garés à proximité. Quelqu'un était assis dans l'un des véhicules. J'ai appelé, il est venu à ma rencontre et quand il a été assez proche, j'ai reconnu JXXX, amis d'amis, que je n'avais rencontré que deux fois jusqu'alors. Nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre et je crois même que le coin de mes yeux est devenu un peu humide.
JXXX m'expliquera que onze personnes étaient entrées en forêt depuis une demi-heure, à ma recherche. J'ai compris que NXXXXXXX avait dû contacter toutes les personnes qui avaient pu m'accompagner en forêt ces derniers temps et que ces personnes avaient elles-mêmes rallié certaines de leurs connaissances. YXXX, qui nous avait guidé dans cette zone un an auparavant, était là. Tout comme YXXX, MXXX, OXXXXXX T et OXXXXXX C venaient également des environs de Cayenne et avaient dû se lever dans la nuit. AXXXXXXX, VXXXXXX et un couple que je ne connaissais pas venaient de Macouria. MXXXXX, qui m'avait déjà accompagné sur Petit Saut mais pas dans cette zone, ainsi que PXXXXX et JXXX-JXXXXXX, que je ne connaissais pas non plus, étaient venus de Kourou. J'apprendrai plus tard qu'ils étaient passés à la maison la veille au soir, tard, pour rechercher dans la mémoire de l'ordinateur les traces GPS des parcours que j'avais pu faire sur Petit Saut, avoir quelques indications sur les sorties effectuées dans la zone du PK 7 et ainsi, orienter au mieux les recherches. J'étais ému, touché de cette mobilisation, de ces dépenses d'énergie et de matière grise dans le but de retrouver ma petite personne, gêné aussi car je savais avoir commis quelques négligences à l'origine de tout cela...
Il devenait urgent de signaler à tout ce monde d'arrêter les recherches et de revenir aux voitures. JXXX klaxonna donc avec insistance, espérant que le groupe ne s'était pas encore trop éloigné et pourrait entendre (et comprendre) le signal.
Une quinzaine de minutes plus tard, un véhicule de gendarmerie arrivait. Je me suis présenté à eux en expliquant en quelques mots ce qui m'était arrivé. Les gendarmes de Sinnamary m'ont alors expliqué qu'ils avaient déjà patrouillé hier soir, de nuit, sur la route de Petit Saut, jusqu'au barrage, gyrophare allumé et sirène en marche. A 500 mètres de la route, je n'avais absolument rien entendu ! Et rien vu non plus !
JXXX-JXXXXXX d'abord, puis un groupe de cinq personnes (le groupe de recherche s'était scindé en deux) étaient sortis de forêt juste avant l'arrivée des gendarmes. Les quatre autres personnes nous ont rejoints peu après.
Puis un autre véhicule de gendarmerie, de Kourou cette fois-ci, a apporté un téléphone satellitaire afin de pouvoir joindre et rassurer ma famille au plus vite. La liaison a été impossible à établir sur la route de Petit Saut. Les gendarmes ne pourront prévenir mon épouse qu'une fois revenus sur la RN1.
Par prudence, on m'engagea à ne pas reprendre le volant jusqu'à Kourou. C'est donc JXXX qui ramènera mon véhicule à domicile et c'est MXXXXX qui me déposera à la maison. En route, nous croiserons mon beau-père, qui rejoignait la route de Petit Saut pour donner un coup de main aux équipes de recherche. J'apprendrai plus tard que mon épouse, avec les enfants dans la voiture, ainsi que mes beaux-parents, avaient eux-aussi fait des allers retours la veille sur la route de Petit Saut, décidément très fréquentée ce soir-là !
L'idée n'est pas de moi mais l'on m'a un peu suggéré de coucher sur le papier ce qui m'était arrivé, comme un témoignage qui, peut-être, éviterait à d'autres de reproduire les mêmes négligences et inciterait à envisager les sorties en forêt avec toute la prudence qui s'impose. Je ne m'y suis pas mis tout de suite, je l'ai fait avec quelques semaines de décalage, de recul aussi. Et cela m'a pris du temps (plusieurs mois). J'ai essayé de rester fidèle aux évènements même si, avec le temps, leur exacte chronologie n'était plus très évidente. Et avec le secret espoir qu'au moins, la lecture de ces quelques lignes soit plaisante...
A tous ceux qui se sont dévoués (ou étaient prêts à le faire), en Guyane ou à 8000 kilomètres de là, pour donner aux recherches un maximum de chances de réussite, un énorme MERCI !